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MONSTER STORY - MANCHESTER : MUSIC CITY 1976 - 1996 DE JOHN ROBB / FACTORY, UN ECHANTILLON D'USINE

C'est l'histoire d'une ville du nord de l'Angleterre où, vu de l'étranger, il fait toujours gris et froid. L'histoire de Manchester où rien ne laissait supposer, il y a cinquante ans et après des décennies de crise économique, qu'un mouvement musical naitrait, en appellerait un autre puis encore un autre jusqu'à écrire une des grandes pages de l'histoire du Rock britannique. Tout cela, du Punk à la Britpop en passant par la 'New Wave' des 80's figure dans le livre de John Robb, Manchester Music City 1976 - 1996 (en français aux éditions RivagesRouge).

Tout commence dans les souvenirs des personnes interviewées par l'auteur, DJ, musiciens, propriétaires de clubs. Il est question de Northern Soul, des sixties, de musique noire, puis des seventies et du Glam quand Mick Rossi de Slaughter And the Dogs évoque sa fascination pour David Bowie et Mick Ronson et lorsque Morissey témoigne du choc ressenti à la vue des New York Dolls au Old Grey Whistle Test. Suivent les membres de Buzzcocks Steve Diggle, Howard Devoto, Pete Shelley et leur manager de l'époque Richard Boon qui confie qu'il était important, d'après lui, d'emmener The Fall et The Worst en tournée pour casser le monopole de Londres et montrer à l'Angleterre qu'il existait aussi une scène Rock à Manchester. Sont également présents Tony Wilson, Peter Saville, les ex Joy Division Bernard Sumner, Stephen Morris et Peter Hook ainsi que des personnes extérieures à la ville comme Jon Savage et Tony James (Generation X) par exemple. Il est bien évidemment question de la venue des Sex Pistols au Lesser Free Trade Hall, de la sortie de Spiral Scratch de Buzzcocks, un des premiers disques punks totalement auto-produit et du refus d'Howard Devoto de passer à Top Of The Pops pour mimer le hit de MagazineShot By Both Sides (passage TV qui finira par se faire). On suit l'évolution de la Factory, la fermeture de l'Electric Circus, l'ouverture de la Haçienda, la formation de Warsaw qui devient Joy Division puis New Order, l'arrivée des Stone Roses, Happy Mondays, etc. 

John Robb a passé un an à interviewer tout le monde et le résultat est passionnant, aussi bien pour les personnes qui s'intéressent à la naissance du Punk à Manchester que pour les fans d'Oasis, de New Order ou des Happy Mondays. Complet et captivant. 


Et dans l'histoire de Manchester, un label a beaucoup compté, Factory. Voici son histoire, 
résumée.

Factory, un échantillon d'usine

Rappel: 12 février 1976, Eddie & The Hot Rods jouent en tête d'affiche au Marquee Club de Londres. Ils remplacent les américains Stars et en première partie, un petit groupe totalement inconnu à ce moment-là va faire parler de lui: Sex Pistols. Leur set est sauvage, les chansons aussi. Le chanteur descend dans le public, s'assoie parmi les spectateurs puis se relève en jetant sa chaise au sol. Neil Spencer, journaliste au New Musical Express, vient d'arriver avec son collègue Tony Tyler et ils hallucinent face l'audace de ces amateurs qui reprennent Stooges et Who dans des versions  survitaminée.

De retour chez lui, Spencer écrit un article uniquement consacré à ce jeune gang de première partie : Don't Look Over Your Shoulder, But The Sex Pistols Are Coming ('ne vous retournez pas, mais les Sex Pistols arrivent'). Pas un seul mot sur Eddie & The Hot Rods qui ne décolèrent pas. Le NME publie l'article dans son numéro du 21 février, deux étudiants de Manchester le lisent et décident d'aller voir tout ça de près. 
Arrivés à Londres, ils font la connaissance du manager des Sex Pistols, Malcolm McLaren, qui n'en croit pas ses yeux : deux adolescents ont fait le trajet pour voir le groupe dont il commence à s'occuper. Pour lui, c'est assez surréaliste.

Les deux mancuniens Howard Trafford et Peter McNeish vont donc voir les Sex Pistols live dans la banlieue de Londres et ils sont tellement subjugués par ce qu'ils voient sur scène qu'ils proposent à McLaren de les faire jouer chez eux, à Manchester, quand ils le pourront. De retour à la maison, ils montent un groupe dans la même veine, Buzzcocks, et se rebaptisent Howard Devoto et Pete Shelley.

Le premier concert des Sex Pistols a lieu le 4 juin 1976 dans la petite salle du Lesser Free Trade Hall. On ne s'y bouscule pas, le groupe n'est pas connu et la première partie qui devait être assurée par Buzzcocks est finalement offerte à Solstice, groupe local également inconnu. Par conséquent, seule une cinquantaine de personnes est là, les avis sont plutôt favorables et beaucoup reviennent le 20 Juillet accompagnées de quelques amis pour assister au second concert. Après ces deux soirées, Marc E. Smith, Ian Curtis, Peter Hook et Bernard Sumner comprennent que tout est possible, le premier forme The Fall, les trois suivants Warsaw qui devient Joy Division. Dans la salle également, Morissey, futur chanteur de The Smiths et président du fan club anglais des New York Dolls, ainsi que Tony Wilson, présentateur à Granada TV, qui fait passer les Sex Pistols dans son émission So It Goes en août 1976. Motivé, lui aussi, par tout ce qui est en train de se produire, il crée la Factory en 1978 avec son associé Alan Erasmus. Cette salle de concert, précédemment connue sous le nom de Russel Club, voit passer Joy DivisionThe Durutti Column et Cabaret Voltaire, tous les trois présents sur le premier disque de Factory Records, A Factory Sample. Ce label est fondé par Wilson et Erasmus, associés au producteur Martin Hannet, au designer Peter Saville et au manager Rob Gretton qui s'occupe de Joy Division.

Les débuts de Factory Records se font à la débrouille, les bureaux se trouvent chez Alan Erasmus et le disque A Factory Sample est fabriqué dans une usine locale. Il sort en janvier 1979, 
d'abord pressé à 1000 exemplaires suivis de plusieurs repressages. Au total, près de 5000 copies sont vendues en quelques mois. Sa référence est FAC-2 car FAC-1 était celle du premier concert à la Factory. La pochette, assez do it yoursef, annonce une nouvelle ère, celle de l'industrie, des usines. Imprimée en noir et argent sur du papier de riz grand format, elle permet une fois repliée d'insérer deux disques 33 tours au format 45 (le poète John Dowie est également présent). Au recto, un homme porte un casque de chantier et des protections auditives, au verso un autre conseille l'utilisation de ces protections auditives. Industriel.

Joy Division est le premier groupe à sortir un album sur le label Factory. Unknown Pleasures voit le jour le 15 juin 1979 et il est représentatif de l'ambiance du moment. Froid comme un hiver à Manchester, c'est aujourd'hui une référence Post-Punk. Si Magazine et Public Image Limited ont montré la direction en 1978, Joy Division plante définitivement le décor avec des titres comme Day Of The LordsCandidate et avec cette voix sombre, celle de Ian Curtis, chanteur malade et torturé qui met fin à ses jours le 18 mai 1980, juste avant le sortie de Closer, le deuxième album du groupe. Les trois autres membres fondent alors New Order et restent fidèles à leur label.

The Return Of The Durutti Column sort en janvier 1980. C'est le premier LP de ce 'groupe' et le deuxième de l'écurie Factory qui en fabrique environ 3000 exemplaires dans un premier temps. Ils sont emballés dans du papier de verre avec un 45 tours flexi en bonus qui contient deux instrumentaux de Martin Hannett. La pochette varie selon les copies, le titre de l'album et le numéro catalogue FACT 14 sont tagués à la peinture noire ou blanche sur le recto. Les rééditions, en revanche, sont toutes commercialisées en pochette standard et sans flexi-disc. Ici aussi, les choses se font de façon très artisanale. Les membres de Joy Division et A Certain Ratio aident Wilson & co à peindre les pochettes et à emballer les disques.

Même s'il a été formé par Wilson et Erasmus avec Vini Reilly, The Durutti Column n'est pas vraiment un groupe mais un concept instrumental de Reilly parfois accompagné, sur ce premier album, par Martin Hannett (claviers) et Toby Toman (batteur qui a joué avec Nico, entre autres). Le titre de l'album vient du journal situationniste de 1966, Le Retour Des Colonnes Durutti et le nom du groupe emprunté aux Colonnes Durutti de la guerre d'Espagne. Musicalement, c'est froid, comme Manchester. Une sorte de Post-Jazz Industriel, si on peut dire.

Un mois après la sortie de cet album, c'est une cassette de A Certain Ratio que Factory met sur le marché. Intitulée The Graveyard and the Ballroom, elle contient sept titres studio et sept autres captés en concert. Là encore, le label joue la carte de l'originalité et fait le bonheur des collectionneurs. La cassette et son livret sont emballés dans un sachet plastique de couleur différente selon les exemplaires, orange, rouge, vert, bleu ou gris. A Certain Ration se situe entre le Post-Punk de Public Image Ltd et Joy Division (sur Flight et Crippled Child, par exemple) et un funk très froid (Do The DuThe Fox), vraiment très froid ! 
La même année, le club Factory cesse toute activité, l'aventure aura duré deux ans environ. 

Still, album posthume de Joy Division, arrive dans les bacs le 8 octobre 1981. C'est un double LP emballé dans un carton épais au design dépouillé, on y trouve des inédits enregistrés en studio ainsi que des titres live, pour certains inédits également, tel que la reprise de Sister Ray du Velvet Underground et surtout Ceremony, repris par New Order pour un de ses premiers singles. Encore une fois, les premiers exemplaires se distinguent de ce qui se fera ensuite. La pochette est grise, emballée dans une couverture en toile de jute, l'ensemble relié par un ruban blanc.

Les quatre groupes précédemment cités ainsi que Section 25 et Cabaret Voltaire constituent désormais le catalogue du label Factory jusqu'au milieu des années 80.

En mai 1982, New Order inaugurent un nouveau nightclub, La Haçienda, installé dans une usine désaffectée. Tony Wilson et Rob Gretton en ont fait l'acquisition, avec l'aide des ventes de New Order. À partir du milieu des années 80, ce club devient le haut lieu de la fête, sur fond de House et de Rave, le mouvement Madchester est né.

Rob Gretton fait entrer Happy Mondays dans l'écurie Factory en 1984. L'année suivante, ils sortent leur premier EP, Forty Five puis Squirrel And G-Man Twenty Four Hour Party People Plastic Face Carnt Smile (White Out) en 1987.

Si le titre est un brin indigeste, l'album se révèle être, au contraire, un bijou Indie Rock qui passe très bien dans les oreilles. Produit par John Cale, il est tout d'abord commercialisé dans une pochette en PVC sur laquelle sont imprimés les titres et le nom du groupe. Comme pour The Durutti Column, Factory en sort peu d'exemplaires sous cette forme, les suivants disposeront d'une pochette standard.

En 1988, Factory sort la compilation Substance de Joy Division sur laquelle se trouvent les deux titres de A Factory Sample, Digital et Glass, pour ceux qui n'ont pas la chance de posséder l'original devenu très rare et donc très cher. La fin des années 80 approche, les ennuis avec. Malgré le succès de New Order et Happy Mondays, le label Factory perd de l'argent, La Haçienda aussi. Certains affirment qu'Happy Mondays sont en partie responsables des problèmes économiques du label. Gros consommateurs de drogues diverses, ils n'hésitent pas à vendre le matériel du studio dans lequel ils enregistrent à Ibiza pour se fournir en came. Factory est ensuite obligé de rembourser, ce qui n'arrange pas ses affaires. 
Le label cesse toute activité en 1992 et la Haçienda ferme définitivement ses portes cinq ans plus tard.

Factory a marqué la musique anglaise, qu'on aime ou pas les groupes de son catalogue, son histoire est née de débrouille et d'envie. Grâce à des gens simples et motivés qui ont rendu les choses possibles. 

Monster On Your Back

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