Si on s'en tient à la pochette de l'album, ce sont les Heartbreakers qui ont sorti L.A.M.F. ('Like A Mother Fucker'). Au moment où il pose guitares et amplis pour la première fois en Angleterre, le groupe ne s'appelle pas Johnny Thunders And The Heartbreakers et encore moins Johnny Thunder's Heart Breakers, comme sur les affiches de l'Anarchy In The UK Tour de décembre 1976.
A la demande de Malcolm McLaren, manager des Sex Pistols, le gang de Johnny Thunders va accompagner Sex Pistols, Clash, Damned et Buzzcocks sur une tournée catastrophique à travers le pays où il va finalement rester plus longtemps que prévu.
Tout le monde ou presque connait l'histoire, les Sex Pistols viennent de sortir leur premier single chez EMI, ils passent à la TV et, bien imbibés d'alcool, pourrissent la vie du présentateur pour l'éternité. Voyant cela, les salles ferment peu à peu leurs portes aux groupes au point que la plupart des concerts sont annulés. Il s'ensuit des semaines d'ennui où quelques dates seulement sont maintenues et entre deux, Johnny Thunders et ses Heartbreakers jouent à Londres, ici et là comme par exemple au Roxy où quelqu'un de chez Track Records, un label indépendant, les remarque. Johnny Thunders et Jerry Nolan - respectivement guitariste chanteur et batteur du groupe - viennent des New York Dolls qui avaient failli signer chez Track en 1974. Il faudrait donc être totalement incompétent pour ne pas flairer le bon coup au moment où le Punk explose dans la capitale et quelques villes de province.
Track propose donc un deal aux Heartbreakers qui l'acceptent et commencent l'enregistrement de leur unique album L.A.M.F en février 1977 aux Essex Studios. L'ingénieur du son est Richard Austen et moult sessions ont lieu dans ces studios puis aux Ramport Studios et Olympic Sound Studios (propriété de Pete Townsend des Who). Entre temps, le groupe joue deux fois le même soir au Speakeasy de Londres, le 15 mars, ce qui donne lieu à deux albums DTK Live At the Speakeasy, le premier avec un set et le suivant avec les deux. En décembre, ils enregistrent trois titres aux Riverside Studios dont London Boys qui figurera sur So Alone, le premier LP solo de Thunders.
Une fois les sessions de L.A.M.F. terminées, vient le moment du mixage et c'est là que ça se gâte. Le travail est fait au studio Trident Sound où Bowie et les Beatles sont passés puis aux Adivision Studios. Une quantité industrielle de mixages différents sortent de ces journées de travail et personne n'arrive à se mettre d'accord. Jerry Nolan claque la porte (ou se fait virer selon les versions que l'on trouve).
L.A.M.F sort le 3 octobre 1977 et le mix final déçoit tout le monde. Nolan parti, il est remplacé par le Pistol Paul Cook lors d'un concert à Bristol le 1er octobre. Les Heartbreakers pensent aussi à Rat Scabies des Damned au poste de batteur mais Paul 'Cookie' Pistol fait l'affaire et suit le groupe sur plusieurs dates anglaises.
En plus des Heartbreakers, L.A.M.F déçoit aussi les fans, même si certains s'en satisfont. Et Track a mis la clé sous la porte, donc impossible de mettre la main sur les masters. L'album est finalement remixé et sort en 1984 sous l'appellation L.A.M.F. Revisited puis en 1994 avec le titre L.A.M.F. (lost '77 mixes). En 2012, le coffret CD L.A.M.F. definitive edition paraît avec l'album original restauré, les 'lost 77 mixes', des démos et des versions alternatives. Tout ce qui peut faire la légende des gangs de la trempe des Heartbreakers, en plus de faire du cash, sort des tiroirs.
En 2020, deux cassettes masters sont trouvées dans le grenier de feu Daniel Secunda, ancien patron de Track Records, et ce sont ces bandes qui permettent la parution de ce qui semble être la version définitive de l'album, celle que le groupe aurait voulu sortir à l'époque. Après quarante quatre ans de casse tête, de remix, etc. un LP intitulé L.A.M.F. the found '77 masters voit donc le jour une première fois en 2021 puis est réédité l'année suivante pour le Record Store Day. Objectivement, je ne peux que vous conseiller cette version qui est au-delà des autres, qui sonne mille fois mieux, même si les fans de la première heure et les punks old school préfèrent sans doute l'originale.
En écrivant ces lignes, je réalise que l'histoire des Heartbreakers est très proche de celle des Sex Pistols. D'abord parce qu'il y a Malcom McLaren, apprenti manager des New York Dolls puis des Pistols qui les a fait venir en Angleterre pour participer à l'Anarchy Tour de 1976. Ensuite parce que Steve 'Pistol' Jones est fan de Thunders, mais aussi parce que les dates d'enregistrements et de sortie des albums respectifs, unique pour chacun, coïncident. Les premières sessions ayant commencé, pour les deux groupes, en février 1977 (si on exclue Anarchy In the UK enregistré en 76) pour arriver dans les bacs des disquaires en octobre de la même année (je ne tiens pas compte des sessions démos antérieures à l'enregistrement de l'album). J'ajoute un split inévitable après l'unique LP et l’héroïne qui ravage une partie de l'histoire. Sans parler de l'implication des ex Pistols Cook et Jones sur diverses dates de concerts des Heartbreakers et si je pousse un peu plus loin, pour l'album solo de Johnny Thunders, So Alone.
L.A.M.F. reste une référence Punk et Rock incontestable et il tourne sur ma platine aussi souvent que Never Mind The Bollocks, Young Loud & Snotty et quelques autres disques punks historiques.
Monsters On Your 'Motherfucking' Back
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