MONSTER INTERVIEW : DANIEL LESUEUR - LES ANNEES BOOTLEGS



J'ai réalisé cette interview il y a deux ans. Souhaitant répondre à des demandes de passionnés, je publie à nouveau notre échange ici et remercie Daniel Lesueur une nouvelle fois pour sa patience et sa gentillesse.

Avril 2022

Bootlegger au début des 70's puis animateur radio, journaliste musical et écrivain, Daniel Lesueur tombe très jeune dans l'univers du livre grâce à un père imprimeur et se passionne plus tard pour les bandes dessinées franco-belges. En 1960, il a huit ans et découvre la musique qui va faire partie de sa vie jusqu'à collectionner les raretés, picture-discs, bootlegs, disques retirés de la vente et tout ce qui peut faire la joie d'un amateur de vinyles.

Interview !

Daniel, tu es passionné par les picture-discs, tu as écrit un livre sur le sujet. C'est venu comment, l'intérêt pour ce type de support précisément?

Disons – je vais être un peu prétentieux – que j'ai toujours été en avance sur les modes : nos superbes EP français qui valent aujourd'hui entre 30 et 300€ pièce, je les ramassais par terre le samedi matin en sortant du lycée, au marché aux puces de la porte de Vanves ; ça valait 1 franc en 1967, tout le monde méprisait ces disques qui, pourtant, étaient déjà rares. Donc, lorsque j'ai possédé l'intégralité des EP français d'artistes anglo-saxons, je me suis mis en quête des ces picture discs... anciens, à un moment ou le picture disc récent devenait une mode. Et – pas d'erreur, c'est Lesueur – c'est évidemment leur beauté qui m'attirait : c'était bien rare que j'écoute un 78 tours, fut-il un picture-disc !

Tu possédais énormément de vinyles il y a 30 ans (15000 pièces). Tu les as revendus, est-ce que tu collectionnes à nouveau aujourd'hui?

Je m'en suis débarrassé... D'une part parce qu'il fallait bien faire manger les enfants... Et d'autre part parce que je trouvais idiot de garder des trucs que je n'écoutais pratiquement pas : aurais-je eu le temps de sortir un LP pour écouter une seule chanson ? Et franchement je ne regrette rien car grâce au MP3 je suis vraiment devenu libre... au point qu'à la maison nous n'avons ni télé ni radio. En revanche une collection phénoménale de films rares en n&b et en regardons un par jour (sans coupure de pub'!). Mais de cette belle collection il reste un très beau reportage que j'ai mis sur ma chaîne youtube.

Le ou les disques le(s) plus rares dans ce que tu possèdes encore ?

Un picture-disc 78 tours en carton... Je l 'ai trouvé dans la demeure de Michel Simon en région parisienne (l'acteur était plus souvent en Suisse). C'est un très beau Christ peint par Le Titien (il est bien sûr reproduit dans mon livre).

Tu as gardé des bootlegs ?

Symboliquement le tout premier tirage de Great White Wonder... Totalement immaculé : ni tampon, ni numéro de matrice ! Et deux – trois autres symboliques ; je vous parlerai plus loin de mon premier bootleg. Le deuxième, je l'ai toujours, c'est My God de Jethro Tull sur un magnifique vinyle mauve que je me suis payé le luxe de faire dédicacer par Ian Anderson... J'ai gardé Hendrix Live Experience 1967 - 1970 car superbe pochette photo N & B... et Catalepsy de l'Airplane car c'est le premier que j'ai fait fabriquer moi même !

Cette industrie « parallèle » ne t'est pas inconnue, tu en as vendu. Comment est-ce arrivé ?

Un miracle et un grand moment d'émotion : ça faisait des mois que j'en entendais parler dans Melody Maker et N.M.E. Mais pas moyen d'en trouver. J'en rêvais, vraiment. Et un jour au marché aux Puces je vois dans un fond de boutique un disque blanc. Putain, le cœur s'est mis à battre... au point que j'ai dû passer quelques minutes appuyé contre un mur avant d'oser entrer dans la boutique ! Et c'est à l'origine d'une nouvelle collection : tellement ému, je n'ose parler au vendeur et achète un double 33t estampillé Help.


À coup sûr un Beatles, croyais-je. C'était Dylan... avec qui j'étais fâché depuis Nashville Skyline. J'écoute à contre cœur ces inédits de Dylan... et découvre des merveilles, des MERVEILLES. Du coup je devins pour les années à venir l'un des plus grands collectionneurs - chercheurs français de Dylan.

Tu passais des annonces pour de la vpc de bootlegs dans les journaux. Cela paraît invraisemblable aujourd'hui, c'était à quelle époque ? Cela ne t'a jamais attiré d'ennuis ?

En gros, je crois 1972 – 1974. S'y rattachent des souvenirs : un gamin aux cheveux à la ceinture venait en Solex m'acheter des boots des Who et des EP de Françoise Hardy : c'est Jacno bien avant qu'il fonde les Stinky Toys !

J'ai été convoqué une fois au commissariat. Une convocation laconique : « affaire vous concernant ». mais comme, en dehors des disques, je ne faisais rien d'illégal, je savais de quoi on allait m'entretenir. Alors j'ai pris cette menace au sérieux. Mais la police n'était pas très au fait de ce qu'était un disque pirate, et me dit: Il paraît que vous vendez des disques offensant les bonnes mœurs. Et là j'ai eu un trait de génie :

- Mais vous avez raison, c'est le disque de John et Yoko, ils sont à poil. Mais je tiens à préciser qu'il est venu avec une sur-pochette qui masque leur nudité. Vous pouvez venir vérifier mes stocks quand vous voulez.

Vpc bootlegs

Ce fut classé sans suite mais j'ai arrêté mon commerce illicite... de bon aloi, quand même. J'avais été dénoncé par un mec de chez Pathé qui m'avait commandé plusieurs bootlegs en se faisant passer pour un collectionneur. Le plus drôle est que quelques mois plus tard, sans savoir que c'était lui, je suis devenu pote avec le gars de Pathé (qui, en toute bonne fois, avait cru que j'étais un gros trafiquant millionnaire alors que j'étais juste un étudiant sans le sou).

Tu revendais uniquement ou bien est-ce que tu faisais presser certains disques?

J'en ai fait réaliser quelques-uns très réussis : un McCartney à Paris, Catalepsy déjà évoqué, deux Floyd (Water's Gate - c'était à l'époque du Watergate !, leur concert de 1970 à Paris, et un 'Barrett / Floyd'... Radio Caroline, une compil' de titres inédits des Stones auxquels j'avais entremêlé des jingles de radios pirates... Top Of the Milk, un EP flexi vinyle bleu de Cream. C'est tout je crois.

Comment travaille-t-on quand on fait des bootlegs ? On contacte des usines de pressage? On a sa propre usine clandestine ?

À l'étranger, je l'ignorais. Moi, en passant par un intermédiaire, il paraît que c'était un gars qui faisait des heures sup' chez le presseur d'une grande firme.

Après la fabrication, supposons qu'on a 500 ou 1000 copies à vendre, il faut trouver des grossistes qui acceptent de fournir les détaillants et il y a des risques. C'est une filière organisée ?

Perso je tirais à cent exemplaires, alors je n'avais pas besoin de revendeur. En revanche j'en étais un moi-même pour les disques qui venait d'Allemagne, USA ou Hollande.

Captain Crochet, le label qui a sorti Waters Gate etc, c'était toi? 

Ah j'avais oublié Capitaine Crochet, alors non, pas en personne. Capitaine Crochet c'était mon contact qui connaissait le mec à la presse d'une compagnie parisienne. Avant de me connaître, il avait juste fait sortir un ignoble Black Sabbath à Paris au son dégueulasse, dégueulasse, dégueulasse ! Une anecdote : un peu parano, quand il avait ma centaine de disques prête, il me téléphonait et sortait une formule du type "tes chaussettes sont sèches" !   

Avant Great White Wonder de Bob Dylan, il y a eu des 33 ou 78 tours de contrebande dans les années 50, des disques de Blues ou de musiques de films. On ne les appelait pas encore bootlegs, tu en possèdes ?

Non, aucun, ça ne m'a jamais intéressé.

As-tu connu les grands noms du bootleg américain ? Ken Douglas, Andrea Waters, John Wizardo, le designer William Stout qui a fait de fabuleuses pochettes des Stones, Who, etc?

Non. En revanche je n'oublierai jamais l'ami allemand Robert Nietsche qui m'a initié à la bière EKU 28. je ne bois que celle-là depuis 40 ans !

Écrire un livre sur le sujet, comme l'ont fait Clinton Heylin et Alain Gaschet, c'est quelque chose que tu as envisagé ?

Il y a eu un projet à deux, peut-être avec Alain, je ne me rappelle plus. Mais vu que mes connaissances étaient limitées dans le temps, c'était très réducteur donc, pour ma part, j'ai abandonné l'idée.

Si on différencie le bootleg du disque pirate (qui contient des enregistrements officiels), as-tu également « fait » du pirate? Des albums officiels piratés en picture-discs par exemple, parce que justement ils n'en existait pas officiellement ?

La contrefaçon, jamais, c'est ignoble. Le bootleg, lui, était noble. D'ailleurs il ne nuisait pas au commerce officiel puisque les mecs qui en achetaient possédaient déjà tous les officiels. Je dirais même que le bootleg aurait dû être... remboursé par le ministère de la culture !

Cet album des Beatles avec lequel tu es photographié (Yesterday and Today) tu as possédé l'original. Peux-tu nous raconter l'histoire de ton exemplaire ? Quand et comment l'as-tu trouvé ? Il valait combien à l'époque et combien vaut-il actuellement?

Je l'ai trouvé chez un gars pas trop passionné qui l'avait acheté aux USA de façon tout à fait ordinaire, à prix normal.

Il a été retiré de la vente mais on le retrouve fréquemment aujourd'hui avec la première pochette, ce sont des rééditions pirates ?

Oui aujourd'hui ce sont des faux. Du moins la dernière fois que j'en ai vus : ça fait au moins dix ans que je n'ai pas mis les pieds dans un salon ou chez un disquaire. Il peut sembler logique qu'il ait été réédité officiellement.

Nous l'avons vu au début de cette interview, tu as écrit un livre sur les picture-discs, tu en as écrit beaucoup d'autres, sur Jimmy Page, John Wayne Gacy, Tracy Lords, .... Tu as quelque chose en cours ou un projet?

Toujours, toujours, et avec double casquette puisque je suis aussi directeur d'ouvrage auprès de l'éditeur Camion Blanc / Camion Noir, donc... je corrige les manuscrits qu'on me propose, et j'écris les miens en parallèle. Mais en matière de musique je commence à avoir fait le tour alors depuis quelques années j'écris autant sur le cinéma en noir & blanc et des biographies de personnages hors du commun (serial killers, acteurs & actrices porno, actrices du n&b... et puis Dorothy Kilgallen, Sarah Churchill, l'affaire Kennedy. J'ai en cours une bio de Petula Clark, une grande artiste qui curieusement n'a pas la reconnaissance méritée.

Écrire rapporte quoi, à part le plaisir que procure l'écriture justement?

Faire la connaissance d'auteurs en herbe. Et puis gagner ma vie en droits d'auteur.

De combien de temps as-tu besoin en moyenne pour écrire un livre ?

Avec l'habitude (j'en ai écrit une cinquantaine) et le côté pratique de l'ordinateur que je n'avais pas à mes débuts, je suis devenu très rapide. Plus vite que mon ombre : je peux en écrire un en trois mois.

Tu écris tes livres par toi-même ou bien est-ce que tu en reçois en commande ? 

Sur la cinquantaine, je dirais trois en commande. J'ai vraiment une immense liberté et remercie mon éditeur Camion Blanc ainsi que ceux qui l'ont précédé. Je propose mes sujets (mais j'ai quand même la délicatesse de ne pas proposer des sujets voués à l'échec !) et ils sont toujours acceptés.

Quels sont ceux dont tu es le plus satisfait ?  

Ah surtout Sexpionnage à Londres : j'ai vraiment – je suis prétentieux ! - effectué un travail de recherche fabuleux. Je me suis senti investi de la mission de réhabiliter les deux personnages centraux, Ruth Ellis, une pauvre jeune femme qui fut la dernière pendue en Grande-Bretagne et sans un malheureux concours de circonstance aurait été graciée, et Stephen Ward un ostéopathe également artiste sur le dos de qui on a collé tout le poids d'une sale affaire. Un bouc émissaire qu'on a fait taire et dont on a transformé le meurtre en suicide.

Tu as également une collection de bandes dessinées. Quelles sont les pièces maîtresses ?

Toutes les éditions originales des années 40 et 50 sont des pièces, alors « plus pièce que pièce », je citerais un Valhardi avec un dessin pleine page.

Comment arrives-tu à classer une telle collection, pourrais-tu t'en séparer un jour ?

Les BD, très simple : par ordre alphabétique dans des armoires. Ce sera la dernière chose dont je me séparerai... mais j'espère avoir la force de le faire « sentant la mort venir » car mes filles ne s'y intéressant pas ce serait dommage que ça termine à la benne !

Testament d'Edith Piaf

Pourquoi collectionnes-tu les testaments de stars et comment est-ce que tu arrives à mettre la main dessus ? Quelles sont les pièces dont tu es le plus fier ? 

Les stars (et les politiciens) nous mentent alors je suis parti du principe que c'est uniquement avant de passer de vie à trépas qu'ils seront (peut-être!) honnêtes. Mes pièces les plus intéressantes m'ont servi de base de travail pour mon livre ROCK DEGLINGUE... mais j'avoue que le dénuement de celui d'Edith Piaf ne manque pas d'intérêt !

Tu as participé à différentes revues de musique. Quelle a été la plus intéressantes pour toi et pourquoi ? 

Bonne question ! Les plus intéressantes furent, entre mes débuts à Extra et ma fin à Jukebox Magazine, la période intermédiaire car j'en étais plus ou moins rédacteur en chef et pouvais faire ce que je voulais. Mettre Gérard Manset en couverture d'un mensuel, il y a presque 50 ans, fallait avoir les couilles : c'était pas un plan marketing pour vendre le journal ! Cette période journaliste (puis ensuite animateur de radio et de télé) m'a ouvert des rencontres formidables : l'adorable Valérie Lagrange, l'ami Patrick Coutin dont j'ai pu faire sortir le disque alors que toutes les firmes l'avaient refusé une première fois. Et puis Eric Burdon, Rory Gallagher, Ian Anderson, etc. je viens d'ailleurs de publier en e-book un recueil de plusieurs dizaines de mes interviews 

Merci Daniel, 

Fernand Naudin






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