Peux-tu nous raconter tes débuts avec la musique, avant le label, ce qui t'as amené au Rock?
Je viens des vieux Rock Steady, Reggae, de la musique un peu Cumbia, des choses comme ça. J'ai découvert le Rock à l'âge de 14 ans avec toute la vague de groupes français qui m'ont amené au Punk 77, au Garage, aux compilations Pebbles, Back From The Grave, etc.
C'était à quelle époque?
Dans les années 80. Quand je suis parti à l'armée à Djibouti, j'avais une valise remplie de cassettes de Rock, il y avait les Cramps et tous ces trucs là. Et à la base, j'étais bassiste et je jouais aussi du trombone dans des groupes de Ska. Par la suite, je suis allé à Paris, j'avais un super pote, Yann, comme un frangin, avec qui j'ai fait un fanzine qui s'appelait Cyanure. On traînait dans les squatts et on a fait ce fanzine pour filer de l'info. Là, on était déjà dans les années 90 - 92. Et de Cyanure est venu le label Stryckhnine parce que c'est aussi un poison et par rapport à la chanson des Sonics. Mon pote était branché Johnny Thunders, Cramps, il y avait aussi les groupes Crypt qui arrivaient, Jon Spencer, etc. Et de là j'ai commencé à acheter des disques de Rock. Je ne suis pas tombé dans le Rock comme Obélix dans la marmite, ça s'est fait petit à petit. Beaucoup avec les Clash d'ailleurs, qui mélangeaient les deux styles, Reggae et Rock. Au début, j'aimais les Clash pour les morceaux de Reggae et ensuite ça a été pour le Rock, ça a fait ma culture. Aujourd'hui, je suis dans le Garage, le Punk, le Rockabilly, le Psychobilly aussi, j'ai vu ça arriver, les Meteors etc. On était là au premier concert des Meteors, par exemple. Et ici on allait voir les concerts organisés par Megastaff et Some Produkt, on allait à Sarlat et ailleurs pour voir des groupes, on ne les connaissait pas et on s'en foutait, on sortait parce qu'on avait envie de voir des groupes de Rock sur scène, c'était ça, le but.
Cyanure, c'était quel genre de fanzine?
Il y avait les No Talents, RTZ, mon pote était branché par les groupes français genre Gasteropodes Killers, des trucs comme ça. Et de là, on a sorti deux compilations CD avec un gars de Narbonne, son label s'appelait Label Des Chants. D'abord c'était des cassettes et ensuite on est passé au CD parce que le vinyle était en déperdition à l'époque. Ces compilations étaient axées sur les groupes underground de la scène française. Jusqu'au jour où les Vegas sont arrivés. Il y avait déjà eu des embryons avec Stryckhnine, des cassettes, un 45 tours avec un label australien et ensuite j'ai eu une fille, il y a eu une période de flottement jusqu'au début des années 2000 où ça a vraiment démarré avec les Vegas.
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Premier LP des Vegas |
Comment est né Stryckhnine, précisément ?
On a prospecté des labels pour les Vegas, c'était compliqué, on voulait sortir un vinyle avec un CD inclus et on n'a pas trouvé de label. Alors finalement, j'ai dit à mon frangin: 'écoute, j'ai un peu de tunes d'avance, on sort les Vegas'. C'est vraiment là que tout a commencé. Et maintenant, on est à 50 productions. Les Vegas ont été le déclencheur de Stryckhnine même si dans l'esprit le label existait depuis le milieu des années 90 avec ce que je viens de te dire, les cassettes de groupes de Paris, etc. On faisait les sorties en cassettes parce que les vinyles c'était un sacré budget à l'époque et ça le redevient aujourd'hui. Et donc, au moment des Vegas, c'était la bonne période pour tous les petits labels qui sont nés à ce moment-là parce que les usines de pressages étaient un peu à l'abandon. Quand on est arrivés avec le concept de pochette qui s'ouvre et le CD fixé dedans, les mecs n'avaient jamais fait ça mais ils ont dit ok, ça a été monté à la main, la petite capsule et tout, ils n'avaient pas de machine pour le faire. Ils ne refusaient rien tandis qu'aujourd'hui, tu demandes ça, personne ne le fera. On glisse le CD dans la pochette du LP et c'est tout. Et puis à ce moment-là, les prix étaient très attractifs.
Les tarifs ont beaucoup changé?
On est passé du simple au triple. Et les délais sont beaucoup plus longs parce que toutes les majors s'y sont mises. Pour les Vegas, trois semaines après la commande on avait la palette devant la maison, aujourd'hui, c'est trois, quatre voire cinq mois d'attente. C'est l'inverse de l'époque où le CD est arrivé, où tu voyais les vinyles disparaître des rayons et le CD arrivait petit à petit. Même des labels comme Crypt ont été tentés par le CD et reviennent aujourd'hui au vinyle. Au début, pour les Vegas, on a fait presser en République Tchèque parce qu'en France les usines ne pressaient plus ou alors à des prix astronomiques donc on est allé faire presser là-bas. Et puis quoi que tu demandais, c'était oui. Et on a fait presser à 1000 exemplaires. Jusqu'au deuxième Flying Over, c'était 1000. Après c'est passé à 500, ce qui est beaucoup, même si c'est remboursé, il m'en reste. Aujourd'hui, quand tu en fais 200 ou 300 c'est bien. Et presque au même prix que pour les 1000 de l'époque. Et je ne regrette pas parce que les Vegas à ce moment-là, c'était sûr, les disques se sont bien vendus. Je dis pas ça parce que c'est mon frère, mais il y avait tout dedans, le Surf, le Garage, le Punk, et tu peux pas dire que c'est calqué sur quelque chose.
Oui ! Et même en répète, c'était puissant. En fait, ils venaient du Punk US 90's, ils s'appelaient les Small Players et de mon côté je jouais avec Sam, qui est devenu le guitariste compositeur des Vegas. Quand les Small Players ont splitté, Sam et les autres ont fait les Vegas avec les costards et tout, ça se faisait peu à l'époque. Il y avait les Hives sapés comme ça mais ici, on ne les connaissait pas encore, mon frangin et les autres ne connaissaient pas les Hives. En fait, il est arrivé un moment où ils ont décidé de se saper en noir et rouge avec des cravates et voilà. Au lieu de s'habiller à la déglingos, ils se sont habillés comme ça alors qu'ils étaient tous déglingos en fait, je te rassure. Mais l'idée était d'arriver sur scène sapé comme ça, pour changer. Et ils sonnaient Vegas. Le premier album est cru, le second plus travaillé et le troisième c'est que des tubes.
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Deuxième LP des Vegas avec CD fixé à l'intérieur de la pochette comme le premier. |
Le troisième qui n'est pas sorti.
Il n'est pas sorti, non, y'a sept ou huit morceaux, il manquait pas beaucoup pour finir l'album. Mais ces huit morceaux, c'est huit tubes de Punk-Rock à la Hives avec ce côté Surf, Garage et tout le reste. Si tu écoutes Shake !!! (sur le deuxième LP), ils énumèrent toutes leurs influences, les Meteors, Sonics, etc. que tu retrouves dans ces chansons inédites.
Ce serait vraiment bien que ces titres sortent.
Oui, ça sortira mais j'ai aussi le projet personnel de compilations de Blaxploitation avant, parce que j'ai une bonne collection et je voudrais sortir ça avec le mec de Soul Patrol à Paris, Seb, il est entre New York et Paris. Je voudrais sortir ces trucs Funk un peu crus, sauvages, fuzz des années 70, des singles rares, parfois des trucs qui sont même pas sortis en disque, tous ces morceaux qui viennent de films un peu obscurs, en plusieurs volumes. Donc c'est pour ça qu'en ce moment, je peux pas trop m'égarer.
Peux-tu m'expliquer le fonctionnement du label, comment tu le gères ?
Donc, au départ, c'était un auto-financement et ensuite les disques vendus payaient les nouveautés, mais globalement je perdais de l'argent. C'est pour ça qu'aujourd'hui, je m'associe de plus en plus avec d'autres labels, grecs, espagnols, brésiliens, ça nous permet de bénéficier de meilleurs tarifs et d'avoir nos 100 copies chacun, par exemple. Parce que si on devait financer un album chacun dans notre coin, ça coûterait des ronds et il nous faudrait du temps pour nous rembourser. Parce qu'il ne faut pas croire que le Rock N'Roll se vend encore bien. Les gens l'écoute sur Youtube et les disques mettent du temps à se vendre. Même avec la 'mode' du vinyle, tout le monde n'en achète pas.
Le groupe fait l'enregistrement, il reste maître de ce qu'il enregistre. Une fois que c'est fini, on se charge de tout ce qui est pochette et pressage, mais pour la pochette, le groupe a bien entendu son mot à dire, depuis les Vegas, j'ai toujours laissé le choix aux groupes. Il est arrivé que je propose une maquette de pochette à un groupe, ça ne lui a pas plu, il l'a faite de son côté et j'ai fait fabriquer. Je respecte le choix du groupe. Mais d'un côté, je suis un fan de BD anciennes, Les Contes de la Crypte, tous ces graphismes un peu rétro, tous ces trucs là, et j'aimerais que chaque groupe soit relié à des illustrateurs comme Merinuk, Vicente, des gens qui font des pochettes. Pour les Cryptones, je voulais la faire faire par Merinuk mais ils avaient déjà un graphiste qui bossait dessus donc je ne suis pas intervenu. Ensuite, lorsque tout est fini, il y a une certaine quantité qui revient au groupe et une autre au label.
Qui est Vicente qui a fait les pochettes des Vegas?
Il vient du tatouage et il n'avait jamais fait ça mais il a été ok. Du super travail. Maintenant, il bosse pour les conventions et magazines de Hot Rods, tous ces trucs, il fait des affiches démentielles.
Quand as-tu commencé à t'associer avec d'autres labels ?
Au moment où est sorti l'album des Last Killers, Wolf inside, je me suis associé à Adrenalin Fix de Bordeaux. J'ai aussi fait des choses en co-production pour Jungle Fever, le groupe Psychobilly d'Avignon, avec Go Ray qui a créé Pigmé Records. Je travaille de plus en plus avec des labels éloignés géographiquement. Et inversement, parfois des groupes étrangers ne trouvent pas de label dans leur pays et viennent vers nous. Par exemple, Los Intrusos n'ont pas trouvé de label au Mexique et j'ai collaboré avec d'autres pour sortir leur album Delirium Tremens qui est distribué en France, humblement, si on peut appeler ça une distribution, en Grèce, en Espagne et au Brésil. Si on ne s'était pas associés, le disque n'aurait peut-être pas pu se faire ou ça aurait été compliqué. Et aujourd'hui, en fonctionnant comme ça, on peut se permettre de sortir une production par mois tandis qu'à une époque c'était un an quand on était chacun dans son coin. Par exemple, entre les deux Vegas, il s'est passé un petit peu plus d'un an. Après, il y a eu les Curse, huit mois plus tard, puis un autre six mois après, etc. C'est ce qu'on a trouvé de plus efficace pour sortir des disques et mettre en avant des groupes et au delà, il y a les rencontres humaines. Comme par exemple les ex Curse qui ont préféré rester avec Stryckhnine plutôt que d'aller signer avec des labels américains qui leur proposaient un deal. Le rapport humain compte beaucoup au niveau des labels, même si certains te tirent dans le cul. Je vais pas citer des noms, mais s'ils peuvent t'enterrer ils le feront. Ils ont l'impression que tu leur fais de l'ombre alors que non.
Et la musique compte beaucoup, évidemment, si je n'aime pas je ne vais pas produire.
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Non, et je te jure que j'ai déchanté. Parmi les labels, il y a des gens avec qui c'est ok, mais d'autres non. C'est comme les disquaires indépendants. Je comprends qu'ils ont besoin de bouffer, certains sont ok mais d'autres te font baisser le prix au maximum pour ensuite te mettre le disque à 22 balles et se font beaucoup plus d'argent que nous, les petits labels. Au bout d'un moment, t'as mal aux couilles, tu te dis que tu veux bien les aider parce que c'est des gens chez qui tu vas acheter des disques et qu'heureusement qu'ils sont là, mais parfois tu déchantes. A côté de ça, il y a plein de gens bien, heureusement, mais c'est pas un clan face à un autre et les chiens ne sont pas toujours là où on croit qu'ils sont.
Pourquoi Stryckhnine Recordz avec un K et un Z ?
Question d'esthétique uniquement. Je trouvais que Strychnine sans le K, c'était moche et le Z à la fin de Recordz, ça vient d'un groupe Crypt qui avait supprimé le S pour mettre un Z et j'ai trouvé ça chouette. Mais au tout début, c'était Stryckhnine Productions, pas Recordz. C'était un logo en clin d’œil à Orange Mécanique.
J'ai vu un logo sans le K (sur le dernier Vibrafingers), c'était quoi ?
C'est un des premiers logo, c'est Darren Merinuk qui l'avait fait et j'ai pas voulu lui demander de le retoucher donc c'est resté comme ça.
Donc, je reviens aux débuts du label jusqu'à aujourd'hui, tu en es à cinquante productions ?
Oui, j'ai compté dernièrement, Los Luminatos qui vont sortir seront la cinquantième production. Ils sont espagnols, Garage à fond les manivelles, c'est entre Lyres et Los Intrusos. Un côté Fuzztones, Smoggers. Les Fuzztones m'ont fait découvrir les groupes des sixties, à part les Sonics que je connaissais déjà par un pote qui en était ultra fan, d'où Stryckhnine comme je te disais au début. Mais les autres groupes, c'est les Fuzztones qui me les ont fait découvrir, c'était des dénicheurs de talents, comme les Cramps qui ont fait découvrir plein de groupes. Et à ce moment-là, je me suis dit que c'était ça que je voulais écouter, entre autre, d'où le choix des Luminatos.
Les cinquante productions, ce ne sont que des vinyles en LP ?
Non, sans compter les cassettes des débuts, depuis les Vegas, Lipstick Vibrators, etc. il y a eu des CD et quelques 45 tours et ça fait cinquante. Sachant que j'en ai sept ou huit qui arrivent.
Tu ne chômes pas.
Non, je ne chômes pas en ce moment mais il y a eu un moment où ça ramait. Mais là, depuis qu'on fait des coproductions, ça s’enchaîne. A peine un est fini qu'un autre va arriver. Là, j'ai Los Instrusos et les Vibrafingers qui sont arrivés en même temps, l'album des Luminatos va arriver d'ici un mois, un mois et demi. Il y a les Jeune Senior Weekend de Perpignan qui vont arriver, c'est un côté un peu plus Cure, parce que j'essaie de ne pas me limiter à quelques styles. Comme les Blaxploitation que je veux sortir, pour sortir du style Garage, faire un peu comme des Back From The Grave du Funk.
Ok, au début, tu m'expliquais que tu avais fait presser les albums des Vegas en République Tchèque, aujourd'hui, comment ça se passe ?
Je fais presser un peu partout. J'ai mon pote grec, Dimitri, du label Sunnyboy66 qui est un fou de compilations, c'est un activiste du Rock N'Roll, il fait presser en Afrique. On fait des échanges et les disques qu'il m'envoie ont un son incroyable. Quand j'étais à Djibouti, il y avait la culture de la cassette, du CD et même du vinyle. Et aujourd'hui on peut faire presser des vinyles à des prix raisonnables en Afrique. Los Intrusos a été pressé là-bas et tu vas voir le son qu'il a, je pense que les mecs travaillent avec du matos totalement analogique, le son est énorme. Il y a une putain de dynamique, j'ai pas retrouvé ça sur des pressages occidentaux ou alors il faut remonter aux débuts des années Closer et compagnie.
(je confirme que le son est vraiment énorme)
Tes meilleurs souvenirs de collaboration ?
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Collaboration Stryckhnine/Pigmé |
Une dernière question, te considères tu collectionneur de disques ? Y a-t-il un style ou un groupe que tu collectionnes ?
Oui, bien sûr, je collectionne par groupe et par genre, c'est-à-dire que lorsqu'un groupe me plaît, je collectionne, comme par exemple les Cramps, Radio Birdman, les Saints, et aussi les compilations Back From The Grave, Pebbles, Born Bad, etc. j'aime avoir les séries complètes.
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Logo réalisé par Darren Merinuk |
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