THE STOOGES : the complete Fun
House sessions
Fun House est le second album
des Stooges et le dernier paru chez Elektra. Enregistré
live en studio durant le mois de mai 1970, il est produit par Don Gallucci, compositeur et
organiste des Kingsmen sur l'album In Person de
1963 (l'orgue sur Louie Louie, c'est lui).
Si le premier LP a été enregistré
à New York, pour celui-ci c'est de l'autre côté des States, à
Hollywood, que les choses se déroulent. Et c'est la première fois
que les Stooges mettent les pieds en
Californie.
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Photo Ed Caraeff |
Iggy: Les studios Elektra étaient une
charmante petite structure de style colonial espagnol avec un joli
petit jardin sous le soleil de Californie, ce qui était idéal pour
les pauses cigarettes. Loin du dépotoir d'un peep show de Times
Square où nous avons enregistré notre premier disque. Il y avait,
à l'intérieur, un studio individuel moderne, de taille moyenne et
décoré avec goût.
Audiophile dans l'âme, Jac
Holzman, pdg d’Elektra, a fait construire une pièce à
l’acoustique exceptionnelle, décorée au sol d'un superbe tapis
persan sur lequel les Stooges se font photographier pour les besoins
de la pochette de l'album. Le studio est équipé de la meilleure
technologie de l'époque et voit passer les Doors, Joni
Mitchell et bien d'autres encore. Les Stooges vont
donc enregistrer dans cette pièce unique, chacun disposé de façon
à voir les autres et chose très importante, le matériel est le
leur. Ils l'ont amené avec eux parce qu'ils souhaitent garder leur
son, ils veulent que l'album sonne comme les Stooges sur
scène ou en répétition, il est hors de question que la maison de
disque ou le producteur dénature leur identité. Mais Don
Gallucci les a vus en concert au mois de février au Ungano's et il a des
doutes pour la production. Il confie à Jac Holzman qu'il ne sait pas s'il pourra
reproduire ce mur de son sur le futur album. Holzman lui répond
simplement que les studios Elektra sont déjà réservés pour les Stooges, il n'a
donc pas le choix, il faut le faire.
Gallucci passe d'abord quelques
jours avec le groupe au SIR studios sur Santa Monica boulevard afin
de découvrir le répertoire et voir comment il peut travailler.
Ensuite, la première journée aux Elektra
Sound Recorders Studios est consacrée à à la mise en place du matériel, aux divers réglages et balances. Elle permet à
l'ingénieur du son Brian Ross-Myring de se familiariser à son tour
avec le son du groupe.
Ron Asheton: ça allait super bien
avec Ross (...) à un moment il me dit "tu sais, je passe un
super moment avec vous les gars. Je viens de faire Barbara Streisand
et maintenant je vous fais vous, les gars, et crois-moi, vous êtes
beaucoup plus drôles". Hein? De Streisand aux Stooges? Nous
n'étions certainement pas son genre, mais il a aimé travailler
avec nous, et lui et Don étaient une bonne combinaison, ils ont
fait un super job (...) et le studio était super aussi, on avait
l'impression d'être dans notre petit monde.
Les Stooges commencent à jouer
certains titres prévus pour l'album, ils sont sereins.
Ron
Asheton: depuis le premier album, on était sans cesse en
tournée, donc on était sacrément préparés. On avait travaillé
les titres sur scène, face à un public. On les a travaillés
séparément, les uns après les autres, on les mettait dans le set
jusqu'à ce qu'on réalise un jour qu'on ne jouait que des nouveaux
titres. Donc, lorsque le moment d'enregistrer est arrivé, nous
étions prêts (...) au lieu d'être anxieux et nerveux à l'idée
d'aller enregistrer, nous étions heureux, simplement parce que cela
nous faisait une coupure par rapport aux tournées. C'était du
genre: "enregistrer? On n'a pas de job? On va en Californie?
Super !!!" C'était presque plus des vacances qu'un boulot.
Chaque journée de travail commence
aux alentours de midi pour se terminer vers 18 heures. Ensuite, Ron
Asheton et Dave Alexander vont acheter de l'alcool et passe la
plupart de la nuit à boire en regardant des séries TV. De son côté, Iggy prend un acide tous les matins avant d'entrer en
studio. Il a également décidé d'embaucher un
saxophoniste car d'après lui, la musique du groupe en a
besoin.
Iggy: Alors que le concept progressait, j'ai senti
que le genre de musique que nous faisions devait s'étaler, s'étaler
puis exploser au fur et à mesure que le disque avançait, et
c'est pourquoi nous avons fait appel à Steve Mackay, pour nous
aider à nous faire exploser avec son saxo psychédélique.
Les sessions débutent le 11 mai,
quatre prises de 1970 sont enregistrées ainsi qu'une ébauche
de Fun House. Le lendemain, le groupe consacre la plupart
du temps à Down On The Street et Loose, il fait également deux
prises de 1970, des essais sur TV Eye et joue à nouveau Fun
House. Durant ces premières sessions, Iggy chante
plus ou moins en 'yahourt', il n'a pas vraiment de paroles
définitives. Les jours suivants se passent de la même
manière, le groupe se concentre sur un titre qui est joué un
maximum de fois et quelques autres sont testés s'il reste du
temps.
Entre le 11 et le 25 mai, treize
bandes magnétiques huit pistes sont utilisées et plus de cent
prises des titres qui composent l'album sont enregistrées, ainsi
que deux inédits, Slide (slidin' The Blues) et Lost
In The Future. Si le premier sonne plutôt comme une ébauche,
le second est complet et a toute sa place sur Fun House tant
il est inspiré, mais il risque de faire doublon avec Dirt, balade
blues incroyable à la structure assez similaire.
Ron Asheton: Dirt
est probablement ma chanson préférée des Stooges. Personne, à
part les Stooges, peut la jouer vraiment correctement. J'ai essayé
avec un tas d'autres groupes, personne n'y arrive aussi
bien. Dirt figurera donc sur l'album et Lost In
The Future restera dans les cartons d'Elektra.
Tout l'album est enregistré live
et, à la fin des sessions, d'infimes parties de guitares et de
chant sont refaites sur deux ou trois titres car le résultat ne
satisfait pas le groupe.
Iggy: il y a très, très peu
d'overdubs vocaux, seulement quelques lignes que je pensais avoir
foirées, qui ont été refaites un après-midi à la fin des
séances. C'était sur T.V. Eye à coup sûr, peut-être des parties
de Loose, et peut-être de Dirt. L'idée principale des
arrangements était d'éviter l'overdubbing insensé qui était
populaire à l'époque dans la merde commerciale. Ainsi, il n'y a
pas eu de doublage des titres à proprement parler. Pas de mur du
son, mais à la place, un truc envoûtant, une sorte de sorcellerie
qui serpente. Ron a refait une guitare ou deux sur Loose puis Down
On The Street, et Dirt a un seul overdub sur le refrain pour
compléter la guitare Wah-wah de la piste de base.
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Pochette avant l'ajout des titres et crédits |
Une fois les sessions terminées et
le choix des titres effectués, Elektra fait appel au
designer Robert Heimall pour la pochette. Il a fait celle
du premier album, The Stooges et Kick Out The
Jams du MC5, entre autres. Il a donc toute la confiance de
la maison de disques.
Contacté pour lui
demander comment il avait travaillé la pochette de Fun House,
quelles étaient ses idées, etc. il répond: j'adorerais discuter du
packaging mais tout ce que j'ai fait a été de travailler les
photos utilisées, celles fournies par le groupe et mon/leur
logo (R. Heimall est le créateur du logo officiel The
Stooges). J'aimerais pouvoir vous en dire plus, mais il ne m'a
fallu que quelques jours sur ma planche à dessin pour concevoir et
organiser l'ensemble après qu'on m'ait fourni les photos et crédits
de l'album. J'ai essayé de transmettre leur folie en jouant avec
ces photos. Robert Heimall ajoute de la couleur aux clichés
originaux de Ed Caraeff. Le résultat est fascinant, à travers ce
visuel, il nous transmet effectivement la folie stoogienne. Ces
couleurs vives, orange et rouge, rappellent un volcan en éruption,
comme de la lave qui jaillirait des guitares, de la batterie et de
la gorge d'Iggy. L'album sort le 18 août 1970 aux
USA, précédé du single Down On The Street / 1970 le 20
juillet.
Commercialement, c'est très vite un échec malgré un
assez bon accueil dans la presse, la promo d'Elektra et l'idée de
Jac Holzman d'ajouter du clavier sur Down On the Street pour
la version single. D'ailleurs, le groupe n'est pas informé de cette
décision, le clavier (certainement joué par Don Gallucci lui-même)
sonne comme les Doors et l'idée d'Holzman est de faire
une version très radiophonique du single, avec les titres des deux
faces raccourcis afin de mieux passer sur les ondes.
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Iggy au Whisky A Gogo. Photo Ed Caraeff |
Echec, donc,
mais le single reste intéressant pour les fans et les
collectionneurs car les enregistrements diffèrent de l'album et les
pressages français et japonais sont commercialisés dans de
belles pochettes contrairement au standard générique US. Single très calibré pour les
radios, concerts de soutient à l'album, rien n'y fait, la direction
d'Elektra n'est pas satisfaite des ventes et décide de se séparer
des Stooges. A l'époque, le coup est rude pour le groupe, mais
aujourd'hui, justice lui est rendue car beaucoup s'accordent à dire
que de sa pochette à son contenu, Fun House est un
monument du Rock qui a eu énormément d'influence sur le Punk de
1976 et les groupes plus récents tels que Hellacopters et Flamin'
Sideburns pour ne citer qu'eux.
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Pochette française |
C'est également une référence
majeure du proto-punk pour plusieurs raisons. D'abord parce que des
titres comme Loose et TV Eye sonnent comme du Punk-Rock avant l'heure et ensuite parce qu'Iggy, à ce moment-là,
va lancer le style vestimentaire Punk. Jean's troués aux genoux, il
profite du séjour à LA pour s'acheter un collier de chien dans une
boutique pour animaux près du Tropicana Motel où il réside. Ce
collier qu'il porte lors du concert au Cincinnati Pop Festival en
juin, va ensuite influencer bon nombre de Punk-Rockers: Un
jour, je me promenais sur le boulevard (NdB : Santa Monica
Boulevard) et j'ai vu un collier de chien rouge dans une animalerie
appelée Bowser Boutique. Alors, je me le suis acheté.
Punk ! En 1976, les Damned reprennent 1970 qu'ils
baptisent I Feel Alright (comme sur la pochette du single
original des Stooges), les Sex Pistols, qui reprennent No Fun depuis leurs débuts, ne jurent presque que par
Fun House, au point de vouloir le même son sur leur futur album et beaucoup d'autres groupes Punk vouent un culte aux Stooges (que le
présentateur TV du Cincinnati Pop Festival nomme déjà Iggy &
The Stooges) : Dictators et Dead Boys aux USA, Teenage Head au Canada, Metal Urbain, en France, etc.
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Iggy et son collier de chien rouge |
Fun House est donc l'un des
albums ultimes du Rock primitif, par sa sauvagerie et son blues
revisité, il reste intemporel. Les power chords de Ron Asheton
soutenus par une redoutable section rythmique laissent le champ
libre à Iggy, la gorge en feu, qui met un terme aux 60's et annonce
l'avenir sur Down On The Street, Dirt, Loose et le
reste. Les sessions se déroulent entre le 11 le 25 mai, durant sept jours. Sept journées qui aboutissent à un des albums les plus marquants de l'histoire du Rock des 70's.
Pour les puristes et les
complétistes, Slide (slidin' The Blues) et Lost In
The Future se trouvent sur The Complete Fun House
sessions (Rhino Handmade), Highlights From The Fun House
Sessions (2xLP), Declaration Of War (LP) et Fun
House (2xCD). Lost In The Future (take 1) figure sur
la réédition vinyle de Fun House de 2013 (2xLP).
Pour les fans hardcore, le
boxset des sessions complètes est disponible en CD (numéroté puis
réédité sans numérotation) et LP (limité à 1970 exemplaires).
Ne riez pas. Vous ne devez pas rire. Le nouveau
disque est beaucoup plus sophistiqué que le premier. Et vous ne
pouvez pas nier que c'est le meilleur groupe de rock de la région
de Detroit. (Charlie Burton, Rolling Stone, 29 août 1970).
Une musique de rupture, de cassure, qui est fière
de sa singularité, consciente de sa force et qui ne sent aucun
besoin de s'apaiser (...) Après le premier disque du MC5, et
peut-être plus parfaitement encore, c'est l'explosion absolue de la
rock n'roll musique (Paul Alassandrini, Rock & Folk n°47,
Décembre 1970)
Fernand Naudin
Sources:
IGGY POP Open Up And Bleed (Paul Trynka -
Editions Little Brown)
The Complete Fun House Sessions boxset (Rhino
Handmade)
Building Fun House by Iggy Pop
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Poster promo Elektra
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