L'enregistrement du premier album éponyme des Stooges, sorti en août 1969 chez Elektra Records, illustre parfaitement le chaos et l'urgence du groupe au début de sa carrière ainsi que la naissance d'un nouvel état d'esprit punk.
À leurs débuts, en 1967, les Psychedelic Stooges ont l'habitude de jouer avec des instruments de fortune et même des appareils du quotidien, tels qu'un mixeur à peinture, un aspirateur et un haut parleur bricolé maison par Iggy afin de mettre des effets sur sa voix.
Dans la région de Detroit, le gang se fait vite repérer pour son originalité et son attitude chaotique sur scène. Cela lui permet de faire les premières parties du MC5 à Detroit et c'est là que Danny Fields, 'dénicheur de talents' pour Elektra, le remarque alors qu'il est initialement venu pour voir le MC5.
Le concert a lieu en septembre 1968 au Union Ballroom avec MC5, The Stooges et Up, groupe avec Gary Rasmussen qui rejoindra ensuite Sonics Rendezvous Band.
Iggy: Danny Fields est venu en ville pour voir le MC5. Il travaillait pour Elektra Records. J'ai téléphoné aux MC5 et leur ai demandé si nous pouvions passer sur scène après leur concert. Si les gens partaient, tant pis, s'ils restaient, tant mieux. De fait, personne n'est parti, ils sont tous restés. (*)
Impressionné par la performance sauvage d'Iggy Stooge (son surnom, à l'époque), Fields fait signer les deux groupes par Elektra. À ce moment-là, le gang d'Iggy a raccourci son nom en The Stooges (plus facile à retenir) et n'a jamais mis les pieds dans un studio d'enregistrement.
Le 8 octobre 1968, Elektra Records signe les deux groupes et verse 5.000 dollars d'avance aux Stooges, ce qui est peu. Certaines sources affirment au contraire que le groupe touche beaucoup plus (on parle de 25.000 dollars) car Holzman croit en lui et que les Doors sont une manne financière pour Elektra qui s'autorise des libertés avec les nouveaux venus. C'est très surprenant car Holzman ne connaît rien des Stooges et va limiter la durée d'enregistrement à deux jours seulement pour ne pas trop dépenser sur ce nouveau groupe qui lui a été imposé, en quelques sortes, par Danny Fields.
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| Crédit photo: Glen Craig |
Ron Asheton: Holzman nous a dit 'ok, les gars, vous avez deux jours pour préparer les sessions d'enregistrement' et à cette époque, nous n'avions que cinq titres ! Le premier jour, je me suis enfermé dans ma chambre et j'ai composé les musiques les plus simples que je pouvais, ensuite Iggy a fait des paroles, puis nous les avons arrangées.(*)
Mais Holzman n'est pas convaincu et leur annonce que ce n'est pas suffisant pour sortir l'album. Iggy, sans sourciller, affirme qu'ils ont 'plein d'autres chansons', ce qui n'est pas vrai du tout. Le groupe est à sec et doit écrire trois nouveaux titres en une seule nuit, dans sa chambre d'hôtel, pour pouvoir terminer l'enregistrement le lendemain: Real Cool Time, Not Right et Little Doll sont composés et mis en boîte en 24 heures. L'album est finalement enregistré en deux jours et une nuit blanche pour le groupe. John Cale joue du violon alto sur le mantra hypnotique We Will Fall et du piano sur I Wanna Be Your Dog.
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| Iggy et Cale. Ph. Glen Craig |
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| R. Asheton et D. Alexander. Ph. Glen Craig |
A sa sortie, The Stooges est très mal accueilli par la critique populaire. À une époque où le Rock tend vers la virtuosité technique (Led Zeppelin, Cream) ou le lyrisme hippie, la simplicité brute et primitive des Stooges choque ou laisse perplexe. Pour beaucoup de critiques traditionnels, l'album n'est tout simplement pas de la musique, mais du bruit. Dans Rolling Stone, Edmund O. Ward le qualifie de 'bruyant, ennuyeux, insipide et enfantin'. Il critique particulièrement la pauvreté des paroles et le manque de nuance des morceaux. The Village Voice voit le groupe comme une version dégénérée du Rock, incapable de jouer correctement. C'est finalement dans les magazines plus underground que le groupe trouve ses premiers défenseurs qui comprennent l'aspect révolutionnaire de sa démarche. Lester Bangs (Creem Magazine) est un des rares à voir le génie derrière cette musique dépouillée et chaotique. Il réalise que les Stooges captent l'essence même de la frustration adolescente. Il écrira plus tard que le groupe est le futur du Rock N'Roll. Quand on sait l'impact qu'il a eu sur les deux derniers grands mouvement musicaux, le Punk et le Grunge, on peut penser qu'il n'avait pas tout à fait tort.
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| Creem 1er août 1969 |
C'est peut-être finalement le premier album Punk à bénéficier d'un impact international (parce que sorti sur une major). Car si les groupes punks existent depuis pas mal d'années dans une version Garage, ils sont restés très marginaux et n'ont véritablement vu le jour que lorsque des compilations comme Nuggets sont arrivées dans les rayons des magasins. The Stooges est un disque Punk par son style musical mais aussi parce que c'est un album 'low cost' qui a peu coûté à Elektra par sa rapidité d'enregistrement. À l'époque, louer The Hit Factory coûtait beaucoup d'argent, mais en pliant l'affaire en deux jours, la maison de disque a considérablement limité les frais par rapport aux standards de l'industrie de l'époque.
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| Photo Glen Craig 1er avril 1969 |
C'est l'un des disques les plus rentables de l'histoire du Rock, Elektra a gravé ce qui deviendra une des fondations du Punk pour un budget finalement assez faible. Malheureusement, les premières années, c'est une déception pour la maison de disque, même s'il devient peu à peu un long-seller (qui se vend sur la durée). À sa sortie en 1969, il ne décolle pas, 35 000 exemplaires se vendent aux États-Unis sur les douze premiers mois. Pour une maison de disques comme Elektra, c'est un résultat médiocre et les ventes ne couvrent pas l'avance de 5 000 dollars et les frais de studio. Pour cette raison, Elektra demande un nouvel album rapidement, d'où l'enregistrement de Fun House l'année suivante afin de rattraper le coup, en espérant que cette fois, il se vende et qu'il influence les ventes du premier LP. Le groupe reste dans le rouge pendant un long moment, Iggy Pop racontera des années après combien les 70's ont été difficiles pour le groupe, au point de retourner vivre chez ses parents après le split d'Iggy & The Stooges en 1974, totalement fauché. Ce n'est que bien plus tard, avec les rééditions CD, les licences pour le cinéma etc. que les droits d'auteurs ont commencé à tomber.
Si l'album n'est pas un best-seller, contrairement à certains disques grand public, The Stooges va continuer à se vendre chaque année un peu plus. Il est même réédité pour le marché français en 1972 et c'est d'ailleurs en France que sort le single 1969/Real Cool Time en 1969, seul pays à proposer ce disque. I Wanna Be Your Dog/1969 n'est disponible qu'en Amérique du Nord et en Australie et I Wanna Be Your Dog/Ann ne sort qu'en Italie. On peut d'ailleurs se demander si Elektra a vraiment envie de promouvoir le groupe à ce moment-là, en limitant la commercialisation des singles à quelques pays seulement, on peut en douter.
L'arrivée du mouvement Punk en 1976 permet à l'album de se faire une nouvelle jeunesse, d'être réhabilité en quelques sortes, lorsque les Sex Pistols, Damned, Radio Birdman et autres Dead Boys citent Iggy Pop et les Stooges comme leurs influences. Elektra le réédite pour les marchés australiens et néo-zélandais en 1977 et 78.
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| Creem 1er août 1969 |
Symboliquement, les Stooges ont été un groupe charnière entre les 60's planantes et le punk des 70's. L'album The Stooges clôturait la décennie flower-power insouciante et allumait la mèche du Punk-Rock que Fun House allait faire exploser.
Fernand Naudin
(*) Iggy Pop - L'iguane de Gérald Guignot (Rock & Folk Albin Michel).











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