MONSTER STORY : BOOTLEGS !

Les premiers disques bootlegs sont apparus avant la fin des années 60, mais le terme pour les désigner est utilisé à partir de ce moment-là. L'histoire commence vraiment en août 1969 avec la sortie de Great White Wonder de Bob Dylan, double LP emballé dans une pochette blanche sans aucune inscription. Cette 'Grande Merveille Blanche' est suivie de près par Live R Than You'll Ever Be des Rolling Stones et Flyer de Jimi Hendrix, arrivés fin 69.

Flyer de Jimi Handrix.

Pour commencer, précisons les différences entre bootleg, pirate et contrefaçon. Un pirate est, la plupart du temps, une copie illégale d'un disque du commerce avec une pochette différente et parfois des titres en plus ou en moins. Par exemple, le LP Daydream Nation de Sonic Youth sorti en Russie sur le label tout aussi pirate AnTrop reprend le recto de la pochette d'origine mais pas le verso. Le nom du groupe ainsi que les titres sont écrits en russe et ce n'est qu'un 33 tours simple alors que l'officiel est un double. Il existe aussi des pirates de bootlegs, c'est-à-dire que des bootleggers copient un bootleg en changeant la pochette, le titre et la source d'enregistrement pour tromper l'acheteur. 

La contrefaçon, quant à elle, est tout simplement la copie identique mais illégale d'un disque du commerce, comme Montage Of Heck: The Home Recordings de Kurt Cobain, identique à l'officiel, jusqu'au logo Universal Music. https://www.discogs.com/Kurt-Cobain-Montage-Of-Heck-The-Home-Recordings/release/7882976

Il faut remonter à la prohibition pour trouver l'origine du mot bootleg. A l'époque, les bootleggers sont des trafiquants d'alcool qui cachent une bouteille dans la partie haute de leurs bottes, la 'jambe de la botte', soit 'boot-leg'. Le terme est repris des années plus tard pour désigner un autre objet de contrebande : le disque. Mais pas n'importe lequel, celui qui propose autre chose que ce qui est disponible dans le commerce : enregistrements inédits de concerts, démos, 'outtakes', répétitions et même des interviews.

Les premiers bootlegs résultent d'un travail d'amateurs, de fans, d'artisans, sans aucun label comme c'est le cas pour l'album Great White Wonder de Dylan ou Flyer d'Hendrix. Mais très vite, des noms apparaissent tels que Jarris Records et son unique bootleg des Beatles, The Silver Album Of The Worlds Greatest, ou encore Lurch Records qui sort quelques disques des Stones dont Live R Than You'll Ever Be avant de disparaître. Lurch est le premier label de Ken Douglas et son associé 'Dub' Taylor qui vont ensuite créer l'un des labels les plus populaires de l'univers du bootleg: Trade Mark Of Quality.

Cet artisanat parallèle se développe et devient très vite une industrie. Dès le début des 70's, on voit apparaître des spécialistes du bootleg, aux USA et en Europe tout d'abord, puis au Japon et en Australie. TMOQ (Trade Mark Of Quality) est l'un des premiers à travailler à l'échelle industrielle. Douglas et Taylor ressortent Great White Wonder en 1973 et inondent le marché d'albums des Beatles, Pink Floyd, Led Zeppelin, The Who, etc. Apparition également de ZAP (Ze Anonym Plattenspieler), TAKRL (The Amazing Kornifone Record Label ), Impossible Recordworks, Wizardo, et plus tard K&S, Swinging Pig, Ruthless Rhymes et bien d'autres. Le travail artisanal se poursuit toutefois avec des petits pressages comme par exemple White Riot de Clash et No Fun des Sex Pistols, tous deux sortis sur un label éphémère du nom de PFP (Punk For Pleasure) et pressés entre 200 à 300 copies chacun. Certains exemplaires sont vendus en pochettes blanches parfois tamponnées du nom de l'album et du groupe, d'autres avec des pochettes plus luxueuses. The Clash devient alors Take It Or Leave It et l'autre, The Good Time Music Of The Sex Pistols. Ils sont ensuite copiés par d'autres bootleggers, avec labels et pochettes différents car lorsqu'un disque a du succès, qu'il ait été fabriqué à grande échelle ou pas, les concurrents ne se privent pas pour le rééditer. Deux méthodes existent : négocier une bande contre une autre en 'bons commerçants' pour faire du travail propre ou bien pirater un vinyle au risque de sortir un album qui craque dès la première écoute, quand il ne saute pas sur certaines chansons...

1976, il fait vilain temps pour les bootleggers américains. Le FBI met le nez dans le business des contrebandiers et procède à des saisies importantes. Après une période d'accalmie, les affaires reprennent grâce à l'organisation de cette filière parallèle. Des bootleggers ont eu le temps de récupérer bandes, matrices ou copies 'mint' (en parfait état) qui vont tout bonnement servir à refabriquer ce qui a été détruit par le FBI afin de continuer à remplir les tiroirs caisses et faire le bonheur des collectionneurs. 

1980, même chose, saisies, destruction des stocks, accalmie puis les presses fonctionnent à nouveau pour sortir des nouveautés mais aussi ce qui existait déjà. Car il est faux de penser qu'un bootleg est toujours fabriqué en petite série et qu'une fois vendu, il est épuisé et passe dans la catégorie collector. C'est parfois le cas, comme nous venons de le voir avec le label PFP, mais bien souvent l'appât du gain incite les 'flibustiers' à presser en grande série ou à refabriquer sans rien modifier ni au packaging ni au contenu, ce qui revient au même. A part quelques exceptions, comme les 33 tours japonais ou suédois tirés à 250 ou 300 copies, la plupart du temps, les pressages se font à 1000 ou 2000 exemplaires minimum, parfois bien plus. Tant qu'il y a de la demande, les ateliers clandestins ne s'arrêtent pas.

Coffret saisi puis refabriqué après 1980

Si les premiers bootlegs ont vraiment l'allure de disques de contrebande avec pochettes et labels entièrement vierges, le produit évolue rapidement car les bootleggers l'ont compris, plus c'est beau, plus ça se vend et plus ça se vend cher. K&S presse ses vinyles en couleur unie ou en splash (multicolore) pour offrir plus de choix aux collectionneurs, TAKRL et plus tard TSP (The Swingin' Pig) sortent leurs disques emballés dans des pochettes luxueuses imprimées recto-verso et d'autres proposent des picture-discs ou des coffrets avec Lps et singles. Au milieu des années 80 un petit label australien, Happy Porpak Record Productions, fabrique des disques avec emballage et labels soignés. Si le contenant donne envie, le contenu laisse parfois à désirer car la plupart du temps le son est assez médiocre voire carrément horrible. Ce n'est pas un cas isolé car dans ce monde parallèle tout est permis, tout est possible et il y a parfois de très mauvaises surprises. Un LP inaudible bien emballé et proposé trois à quatre fois le prix d'un officiel peut être écoulé assez facilement. Si le client moyen déchante rapidement une fois l'objet posé sur la platine, le fan hardcore est prêt à casser sa tire-lire pour posséder cette pièce supplémentaire dans sa collection, même s'il ne l'écoutera probablement jamais. Cela aussi, les bootleggers l'ont bien compris.

Happy Porpak Record Productions

A propos du packaging, il y a aussi des « ruses » pour brouiller les pistes, par exemple, sur la pochette ou les labels, figurent le nom d'un pays qui n'est pas celui d'origine et des indications qui sèment le doute. Sur les disques Happy Porpak se trouve un « O » barré, comme le «Ø» danois ou norvégien, alors que nous avons vu plus haut que ce sont des productions australiennes. Citons également un joli 'Made in Belgium' sur les labels américains Raven, 'Made in Germany' pour Ruthless Rhymes tout aussi américains ou 'Made in Holland' qui accompagne un joli texte de copyrights sur les labels suédois Gun Records. Concernant Raven et Ruthless Rhymes, il s'agit des mêmes pressages californiens avec mêmes numéros de matrices et des labels totalement bidons. 

A noter que certains bootleggers utilisent parfois les mêmes macarons pour des disques différents, comme Acid Speed ou une copie bas de gamme noire et jaune du label 'Spunk' des Sex Pistols qui a servi à une quantité non négligeable de réalisations TAKRL : Beatles, Elvis Costello, Patti Smith, Grateful Dead, Supertramp, Elvis Presley, Genesis et beaucoup d'autres. Dans ce cas, il vaut mieux regarder les numéros de matrice pour être certain de ce qu'on achète. Les rois de l'embrouille sont ceux qui pompent carrément le logo de la maison de disque officielle comme les petits malins qui ont sorti les bootlegs des Stooges Stukas Over Disneyland et Dirty Ass Rock N'Roll avec un joli E d'Elektra très proche de l'original.

Inversement, un même album est parfois disponible avec des labels différents, c'est souvent le cas des productions américaines comme Ruthless Rhymes qui existent avec macarons Slipped Disc Records (et son joli '21 Boulevard des Moulins, Monoco'), Full Tilt, Full Disclosure, Canyon, Unmitigated Audacity Records, The Wizards Quest etc. Le Patti Smith You Light Up My Fire en est un bon exemple (on note au passage l'utilisation de labels TAKRL sur certains exemplaires...) ou encore Can You Please Crawl Out Your Window de Jimi Hendrix que l'on trouve avec labels Dragonfly, Ruthless Rhymes ou Raring Records alors qu'il s'agit du même disque, avec les mêmes numéros de matrices JIMI I A et JIMI I B. Normal, il s'agit des productions d'Andrea Waters, connue sous le pseudo Vicky Vinyl, et de son associé Jon Wizardo, deux bootleggers américains qui ont inondé le marché du disque dans les années 70. Beaucoup d'enregistrements clandestins sont passés entre leurs mains, des concerts de Bruce Springsteen, Genesis, Yardbirds, Queen, Tom Petty & The Heartbreakers, Neil YoungRolling Stones, Beatles, Grateful Dead, la liste est longue, très longue... le nombre de macarons qu'ils ont utilisé aussi.

Les emballages varient également. C'est le cas du repress de Live'R Than You'll Ever Be des Stones sorti par TMOQ dont il existe au moins trois pochettes différentes.

Et que dire des sources d'enregistrements volontairement erronées pour embrouiller le client ? Un live d'AC/DC à Paris devient un mystérieux concert en Allemagne, celui de Guns N'Roses au Ritz déménage à Pasadena, le concert des Sex Pistols au 76 Club de Burton On Trent devient un live au 100 Club de Londres, etc.

Les bandes, quant à elles, sont fournies par un peu tout le monde, y compris les groupes eux-mêmes dans certains cas. Ainsi, un bootleg peut contenir un enregistrement 'audience' (fait depuis le public), 'console' (depuis la sono) ou des bandes discrètement sorties d'un studio ou d'une salle de répétition. Metallica, avant de devenir une machine à pognon bien huilée, proposait un emplacement spécial dans le public pour les spectateurs qui souhaitaient enregistrer leurs concerts. On a longtemps raconté que Keith Richards collectionnait les bootlegs des Stones et refilait des bandes aux bootleggers pour alimenter le marché et sa collection personnelle. Il se raconte également que Bono achèterait régulièrement des bootlegs de U2 tandis que sa maison de disque mène une guerre sans pitié contre les bootleggers. U2 encore, en 1991 sort The New U2, Rehearsels and Full Versions, un double LP qui devient vite un coffret de 5 Lps en vinyl couleur contenant des bandes studio que le groupe se serait bêtement fait voler dans une chambre d'hôtel... c'est vraiment pas de chance. A l'époque, l'affaire fait grand bruit, beaucoup de journaux en parlent, et les membres de U2 se disent furieux d'avoir été dépouillés de leur travail. C'est vraiment trop bête mais Bono collectionne les bootlegs de son propre groupe et apprécie toujours le contact avec les médias... de là à imaginer qu'il s'agit d'un gros coup de pub pour le futur album, il n'y a qu'un pas que personne n'a osé franchir jusqu'à aujourd'hui.

C'est au début de ces années 90 que le marché explose. Des catalogues de vpc entièrement dédiés aux bootlegs apparaissent au grand jour, des disques sont en vente dans les grands magasins ou par correspondance via la presse musicale et l'offre devient plus importante chaque jour. Très vite, les bootleggers s'orientent vers le CD, plutôt que le LP qui a moins la cote, avec bien souvent des pochettes luxueuses et des enregistrements de qualité. Le tout pour un prix modique comparé aux albums des décennies précédentes. Quand un bootleg LP valait 4 à 5 fois plus cher qu'un officiel jusqu'à la fin des 80's, ce nouveau support est proposé au prix des disques du commerce (environ 15€). Et le pire pour l'industrie musicale, c'est qu'il est considéré comme légal dans la plupart des pays d'Europe pour une sombre histoire règlementaire. Ainsi, des CD fabriqués en Allemagne, Italie, Luxembourg viennent littéralement inonder le marché sans que cela pose problème, du moins pendant un certain temps. On peut même acheter les disques d'un même label grâce à un bon de commande qui se trouve dans le livret du CD. Les principaux fabricants sont KTS (Kiss The Stone), Great Dane Records, The Swinging Pig, Black Panther, Live & Alive, Octopus, Backstage, Yellow Dog ou encore Scorpio. Et comme les prédécesseurs des 70's, un label peut en cacher un autre. Par exemple Scorpio est aussi connu sous le nom de Punk Vault, Wild Wolf et Deep SixUn des groupes 'bootlégué' à tours de bras à ce moment-là, c'est Nirvana. Le nombre de CD sortis en trois ou quatre ans après le succès de l'album Nevermind est incroyable. Repris par la même frénésie qu'au début des 70's, les bootleggers proposent à nouveau de tout (des concerts d'excellente qualité, des démos, un superbe coffret Heart-Shaped box de 8 CD) mais aussi n'importe quoi comme par exemple des enregistrements plus que douteux de Kurt Cobain jouant seul de la guitare chez lui, sans chanter une seule fois... donc impossible à identifier.

A la fin des années 90, la législation change, certains disquaires voient leurs stocks saisis et sont condamnés à payer de lourdes amendes, ces disques sont à nouveau considérés comme illégaux, ils retournent dans la cour des bootlegs qu'ils ont finalement toujours été.

Face à cette industrie souterraine, les maisons de disques ont toujours essayé de trouver une parade avec des albums intitulés Bootleg Anthology ou Live bootleg mais jamais elle n'a réussi à arrêter le phénomène. Et finalement, on peut se demander si le bootleg est dangereux pour elle. Pas sûr, répondent certains car la plupart du temps celui qui achète les bootlegs possèdent déjà toute la discographie officielle, rééditions comprises. Ce client du marché parallèle veut simplement compléter une collection et acquérir un enregistrement hors commerce.

Aujourd'hui, même si le marché de l'officiel est différent parce que les disques se vendent moins bien et que le public « consomme » de la musique sur internet comme on mange des yahourts, les bootlegs continuent à apparaître au fil des années. Il s'agit souvent de petites séries, des tirages à 200 ou 300 exemplaires, ou carrément des disques gravés à l'unité, fabriqués à l'aide de nouveaux outils de gravure que l'on peut acquérir pour moins de 10,000€. Ce qui a changé, c'est que les cadors de l'industrie parallèle n'existent plus. Même si des fabricants utilisent encore le logo et le nom de TMOQ ou K&S, il ne s'agit pas des originaux US. Disparition également de TAKRL, ZAP, KTS etc. Là où les bootleggers d'aujourd'hui sont malins, c'est qu'ils se sont infiltrés dans le marchés officiels en proposant des inédits pour le Disquaire Day, des vinyles couleurs avec étiquettes RSD que les commerçants vendent sans savoir qu'il s'agit de bootlegs.

Catalogue KTS dans un livret CD

Rappelons que si cet article est consacré aux disques audio, un bootleg peut aussi être un DVD ou avant cela une VHS, époque où le 'bootlegging' se pratiquait aussi dans la cour du lycée lorsqu'on s'échangeait des cassettes de concerts des Damned ou des Cramps

Un peu de lecture pour ceux que le sujet intéresse:

  • Bootleg, les flibustiers du disque de Alain Gaschet.

  • Bootleg: The Secret History of the Other Recording Industry de Clinton Heylin

  • Hot Wacks de Bob Walker

  • A Pig's Tale de Ralph Sutherland et Harold Sherrick

  • Sur internet:

    TAKRL https://theamazingkornyfonelabel.wordpress.com/ tout ou presque sur les bootlegs vinyles.

    DISCOGS https://www.discogs.com/search/ avec des pages de disques « unofficial » récemment interdits à la vente, on peut néanmoins y trouver des infos pour enrichir ses connaissances personnelles.

Fernand Naudin

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