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MONSTER STORY - ANARCHY IN THE UK TOUR 1976


Il y a bientôt cinquante ans, en décembre 1976, un scandale à la télévision anglaise amputait considérablement une tournée organisée par le manager des Sex Pistols et sa secrétaire Sophie Richemond. Anarchy In the UK Tour n'allait cependant pas être un fiasco pour tout le monde.

L'histoire est connue, le 1er décembre 76, les Sex Pistols remplacent Queen en dernière minute à l'émission Today diffusée sur Thames TV. Leur manager Malcolm McLaren jubile, c'est enfin l'occasion de promouvoir leur premier single Anarchy In The UK sorti en novembre chez EMI. Il s'empresse de contacter la presse et quelques fans, le Bromley Contingent, dont certains seront présents sur le plateau.

Concert annulé par manque de billets vendus

Dans l'après-midi, EMI envoie un véhicule récupérer les Sex Pistols qui répètent avec Johnny Thunders and TheHeartbreakers au Roxy Rehearsal Centre d'Harlesden (à ne pas confondre avec le Roxy Club de Covent Garden qui ouvrira deux semaines après). Les deux groupes se préparent pour la tournée Anarchy In The UK Tour qui doit débuter le 3 décembre à l'université de Norwich en compagnie de deux autres formations anglaises: The Clash et Damned.

Dix neuf dates sont prévues à travers l'Angleterre, l'Ecosse et le Pays de Galles. Les Heartbreakers sont arrivés le matin même et pour eux comme pour le camp anglais, cette tournée est une aubaine. Le groupe de Johnny Thunders n'a jamais joué hors des USA et il n'a pas de contrat discographique, ces dates vont donc lui faire un max de publicité. Côté anglais, avoir deux anciens membres des New York Dolls sur la tournée va attirer du monde et permettre aux autres groupes d'être vus. Certains organisateurs vont jusqu'à imprimer des tickets sur lesquels figurent Johnny Thunder & The New York Dolls afin d'attirer le maximum de monde.

Pour l'heure, les Sex Pistols patientent dans un salon de Thames TV où se trouvent une bouteille de vin blanc et des cannettes de bière. Steve Jones, le guitariste, boit la totalité de la bouteille de vin et arrive sur le plateau bien soûl. Les autres ayant descendu quelques bières ne sont plus très frais non plus, il faut dire qu'ils n'ont rien avalé depuis le breakfast. Face à eux, Bill Grundy, sorte de Guy Lux local, est aussi imbibé que les quatre Pistols réunis et ne se cache pas pour le faire savoir au début de l'émission : ils sont aussi bourrés que moi, mais paraissent bien en comparaison. Après la diffusion d'une vidéo du groupe, l'interview commence... mal. Grundy pose des questions stupides sur Beethoven et Bach, provoque le groupe, puis fait des avances à Susan Ballion, membre du Bromley Contingent désormais chanteuse de Siouxsie & The Banshees, en lui proposant de la rencontrer après l'émission. Steve Jones craque et insulte copieusement Bill Grundy qui en redemande: allez-y, il nous reste 5 secondes - Vieux dégueulasse, vieux salaud ! lui répond Jones. L'émission est à peine terminée que déjà les téléphones des studios Thames se mettent à sonner. Jones et Siouxsie décrochent, insultent les gens qui appellent pour se plaindre et McLaren, en panique, commande un taxi pour permettre à tout ce petit monde de fuir avant l'arrivée de la police (les grossièretés à l'antenne sont lourdement condamnées à l'époque). 

Le lendemain matin, tous les journaux nationaux font les gros titres avec les Sex PistolsThe Filth And The Fury peut-on lire à la une du Daily Mirror du 2 décembre qui fait sa couverture deux jours durant avec l'affaire Grundy. Off! Off! affiche-t-il le lendemain avec une photo de Siouxsie qualifiée de Punk shocker. Les concurrents ne se privent pas non plus, Were The Pistols Loaded?The Full Mouthed Yobs ou encore Punk? Call It Filthy Lucre. EMI doute des capacités de McLaren à maîtriser le groupe et le convoque le matin même pour rencontrer Richard Branson, boss de Virgin Records à qui EMI fait une offre de reprise du contrat des Sex Pistols. McLaren est mal à l'aise, il déteste Branson et son label qu'il voit comme une troupe de hippies mais il lui propose de passer signer les papiers plus tard dans la journée, aux bureaux de Virgin, ce qu'il ne fera pas. Pour le moment, les Sex Pistols restent donc chez EMI.

McLaren est assommé, ses poulains viennent de se tirer une balle dans le pied chez Bill Grundy et ce n'était vraiment pas le moment car le single se vend mal, il n'est passé que deux fois à la radio, uniquement chez John Peel, EMI ne fait pas beaucoup d'effort pour le promouvoir et certaines dates ont déjà été annulées parce que les ventes de billets étaient insuffisantes. Maintenant, le groupe est à la une de toute la presse nationale à cause d'une émission de trois minutes et cette mauvaise publicité détruit peu à peu la tournée: seules trois dates sont maintenues sur les dix neuf prévues initialement, les salles ferment leurs portes aux Sex Pistols et aux groupes qui les accompagnent.

Première date annulée, Norwich.
Le 4 décembre, à Derby, la mairie exige que tous se produisent devant un jury, l'après-midi, afin de décider si le concert prévu le soir peut avoir lieu. Bernie Rhodes qui s'occupe des Clash et Lee Black Childers des Heartbreakers ainsi que Malcolm McLaren refusent de céder. Rick Rogers, le chargé de communication de Stiff Records qui s'occupe des Damned accepte sans consulter le groupe. Les managers se réunissent et, apprenant la décision de Rogers, virent les Damned qui devront quitter la tournée après le concert de Leeds. Captain Sensible et Brian James sont dégoûtés, ils s'entendaient bien avec les autres groupes et assurent qu'ils n'auraient jamais accepté de jouer l'après-midi devant un jury municipal si Rogers leur avait demandé de le faire.

Le 6 décembre, les quatre groupes vont donc pouvoir se produire sur scène à l'université polytechnique de Leeds. Dans l'après-midi, pour une interview TV, McLaren répond aux questions d'un journaliste après avoir placé ses poulains derrière lui, loin des micros. Il prétendra plus tard avoir organisé tout le scandale de l'émission Today avec Grundy, mais pour le moment, il veut sauver les meubles, il doit rassurer EMI pour ne pas signer avec les 'hippies' de chez Virgin qu'il méprise. Le soir, sur scène, les groupes sont bons, Johnny Thunders & The Heartbreakers jouent les premiers, suivis de Clash et des Damned avant les Pistols, tête d'affiche. Les enregistrements disponibles montrent que, contrairement à certaines légendes tenaces, il n'y a pas vraiment de différence technique entre les Heartbreakers et les groupes anglais, plus jeunes, moins expérimentés, mais tout aussi efficaces.

Le 9 décembre, le bus arrive à Manchester où la soirée à l'Electric Circus est maintenue. McLaren a proposé aux Buzzcocks de remplacer les Damned et négocié un second concert au même endroit pour le 19 décembre. Une équipe de la chaîne de TV allemande ZDF est présente et filme les Sex Pistols en train de jouer Anarchy In The UK. Le reportage contient également des images des Damned en répétition et des Heartbreakers au Roxy. La sono diffuse un bootleg de David Bowie entre les sets des groupes et un spectateur, déterminé à ramener un souvenir chez lui, enregistre toute la soirée. L'histoire vous est racontée ici.

Le 11 décembre, les Pistols sont à Londres où ils enregistrent une série de démos avec le producteur Mike Thorne. Le 12, Andrew Czezowski, patron du Roxy Club de Covent Garden, propose à McLaren de faire jouer le groupe dans son club pour l'inauguration. Ce dernier refuse, pensant trouver un autre lieu plus grand. Ce sont finalement Johnny Thunders & The Heartbreakers qui s'y produisent le 15 tandis que les Pistols restent sur la touche, McLaren n'ayant rien trouvé d'autre pour les faire jouer. Andrew Czezowski, vexé, ne lui proposera jamais plus de faire passer le groupe dans son club. C'est lors du concert des Heartbreakers au Roxy qu'un responsable du label Track Records les remarque et leur propose plus tard un contrat qui débouche sur l'enregistrement de L.A.M.F. Gros coup de chance car si tout s'était déroulé comme prévu, le gang de Thunders auraient joué à Glasgow le 15 décembre, pas au Roxy. 

Une nouvelle date vient se greffer à la tournée de l'anarchie. Le Castle Cinema de Caerphilly, au Pays de Galles, accueille les groupes le 14 décembre, sans Buzzcocks. Une manifestation religieuse a lieu à l'extérieur. Un pasteur soutenu par environ 300 fidèles essaie de faire annuler la soirée, en vain. Une équipe de TV est présente pour filmer l'événement dont on peut voir certains passages dans le film The Great Rock N'Roll SwindleLe 19, nouveau concert à l'Electric Circus de Manchester, où Buzzcocks reviennent jouer. Une date est trouvée pour le lendemain au Winter Gardens de Cleethorpes avec Clash et Heartbreakers.

Le premier numéro du journal Anarchy In The UK est mis en vente ce soir-là par deux punkettes amies des Pistols. Suivent deux dates au Woods Centre de Plymouth, les 21 et 22 décembre pour terminer la 'tournée' qui s'avère être un échec financier en plus d'une catastrophe promotionnelle. La société de McLaren, Glitterbest Ltd, a perdu £10,000, le single Anarchy In The UK ne s'est pas vendu et les Sex Pistols ne peuvent quasiment plus jouer en Grande-Bretagne. EMI s'en sépare le mois suivant en faisant un joli chèque. Loin d'être une arnaque calculée par McLaren, l'argent est dû contractuellement au groupe. The Heartbreakers s'apprêtent à enregistrer pour Track et The Clash à signer chez CBS. Ce sont les grands gagnants de la tournée avec Buzzcocks qui consolident leur position de groupe phare du Punk anglais. Quant aux Sex Pistols, malgré tous les efforts de leur manager à essayer de convaincre le music business que tout ce chaos était orchestré, ce afin de ne pas passer pour un guignol, ils sont les grands perdants et vont ramer un moment pour sortir un disque et rejouer en Angleterre. Damned, pourtant virés dès le début, s'en sortent mieux. 
McLaren, plus couturier qu'homme d'affaires, ne se remet pas de ce fiasco. Son groupe commence à douter de ses compétences et les maisons de disques lui ferment progressivement leurs portes. Après un nouvel échec avec A&M Records, il finit par signer avec Virgin, la mort dans l'âme, en mai 1977. 

Dick Kent

Texte original de l'ami Fernand que j'ai complété.

NME du 11 décembre 1976


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